Les ruelles d'Unknown

La musique... La seule chose qui me reste.
Les coups d'archet déferlent à une vitesse fulgurante, créant des mélodies étranges et spontanées.
Puis la fureur laisse place à la passion. De longues et belles notes plaintives à souhait sortent du corps ancien et foncé du violon.
Je ne fais plus qu'un avec lui. Nous nous abandonnons ensembles à cette partition, stricte et sans échappatoire. Une seule fausse note et tout est fini, la mélodie n'a plus aucun sens.
Je sens mes poignets s'enflammer, offrant des sons hystériques et dissonants au violon, presque orientaux. Le rendu est envoûtant et majestueux.
Puis la chute... Une mélodie, d'une rapidité déconcertante, mettant toute ma dextérité à l'épreuve s'échappe. Des notes graves et rocambolesques. La suite je la connais par cœur. Le thème principal. Simple et efficace. Joyeux et populaire. "Creux, bosse, creux, bosse", combien de fois mon professeur m'a répété cette phrase à propos de mes poignets ! Je sens une douleur à force de les mouvoir de la sorte. Le son perd de l’assurance et se ralentit… Puis je perds le fil de la partition. Tout est foutu...
____________

Assise dans un coin d'une rue, Kihya médite sur sa vie, en fumant un joint. Ce dernier ne lui fait plus trop d'effets, l'habitude s'est vite installée.
Elle regarde marcher les gens, les écoute attentivement, comme pour enregistrer chacune de leurs paroles. Son corps est faible lorsqu'elle fume.

Les ruelles sont des endroits où il faut se méfier des personnes que tu croises. Elle ferma ses yeux comme pour oublier le monde dans lequel elle vit.

Soudain, une main charnue se pose sur son épaule, puis s'élance dans une découverte trop intime. Kihya ouvre les yeux et le pousse en arrière. Il tombe d'un seul coup. L'inconnu empeste l'alcool, une image lui revient en tête, celle de son père au volant, avant l'accident. Elle se dépêche de courir, pour essayer de le semer. Elle regarde toutes les secondes pour voir, s'il ne la suit pas.
Rien, il est parti.

Vite essoufflée, elle s'arrête dans une petite ruelle. Elle s'adosse contre le mur, pour reprendre son souffle. Son cœur bat vite, mais elle sait se calmer.

Elle tourne la tête pour voir s'il n'y a personne, mais elle aperçu un homme, assez grand. De longs cheveux noirs lui couvrent le visage et accentuent son regard. Il a un violon à la main, il me semble énervé aussi. Elle s'avance hésitante.

C'est avec une crampe au poignet ainsi que les doigts crispés et douloureux que je m'assis à même le sol...

Quelle médiocrité ! Pas fichu de finir une partition... Je repose délicatement mon violon ainsi que son archet dans leur étui puis jète la partition en l'air.

Elle s'envole puis perd un peu d'altitude, comme bercée par les notes inscrites dessus. Une nouvelle vague musicale arrive, faisant valser mes cheveux noirs de jais. Puis un silence. La feuille retombe définitivement par terre.

Une main fine et délicate la ramasse. Je lève la tête. Une femme étrange, à l'allure sombre et punk m'observe. Elle a un regard doux; son haut léger et noir épouse à merveille son corps fin et sensuel. Sa jupe faite de légers voiles noirs joue malicieusement avec le vent tandis que ses rangers faites de cuir grossier et de boucles de métal tranchent ce style faussement innocent.

Elle s'approche en me souriant, marchant délicatement...
Puis elle s'assit et se blottit contre moi, sans rien dire, lisant la partition d'un œil attentif.
______________

Regardant la partition avec une grande diligence, je tends ma main vers le violon et l'archet de l'homme.
D'une voix douce et d'un sourire charnel, je lui demande:
" Puis-je ? "

D'un oui perplexe de la tête, l'homme me prête son violon ainsi que le reste. Je lui montre juste que j'ai besoin qu'il me tienne la partition. Je me lève, positionne le violon sur ma clavicule et le cale avec mon menton. Ma main gauche amène mes doigts à se poser délicatement sur les cordes, et mon autre main tenant l'archet commence un frotement d'infimes notes. Emportée dans le son merveilleux du violon, je laisse de côté la partition, en fermant mes yeux et me laisse m'abandonner dans une mélodie remplie d'ardeur. Je sens mon coeur s'accèlérer à chaque mouvement de poignet. Tout en continuant dans ma folie, la mélodie devient presque radieuse. Cette dernière si délicate à l'oreille au début, est devenu fulgurante.

D'un seul geste, je m'arrête sur une note aigue, en la terminant divinement.

J'ouvre les yeux, et là je sens ma tête lourde, mon corps ne tient pas debout. Ma vision devient flou. J'ai l'impression que tous mon poids s'affaisse dans le sol, mais des mains fines viennent stopper ma chute.

Voyant la jeune femme s’effondrer, je la rattrape dans sa chute et la dépose en position assise, avec moi.

D'où vient cette fille ? Elle a réussi à finir la partition avec une virtuosité qui n'a sûrement d'égal que le compositeur... Mais je ne la complimenterai pas, fierté oblige. Surtout que le fait de jouer deux minutes de ce violon l'a vidée de toutes ses forces, comme si l'instrument lui-même les lui a absorbées...

La voilà maintenant à côté de moi, inoffensive et sans défense... Qu'est-ce que je vais faire d'elle ?

SAIGNE LA !

Oublie Tuomas, oublie. Il me faut lui parler, savoir d'où elle tire cette facilité pour le violon, connaître autant ses occupations que ses préoccupations. Mais après... ?

EVIDE LA !

Je dois tenir le coup, résister à mes pulsions... Non, non et non ! Tant qu'elle est avec moi elle est en danger, elle doit partir… Mais comment lui dire ?

Je la regarde...

Elle est tellement belle, sereine et mystérieuse. Cela me briserait le cœur de laisser cet ange s'envoler...

____________

Je sens chaque pulsations de mon coeur battrent dans tous mon corps. Elles rèsonnent sans cesse, accélèrent, ralentissent, accélèrent, ralentissent... J'ai toujours eu l'impression d'être au bord du gouffre, à chaque crise que je provoque. La musique m'avait tellement emporté sur sa mélodie fascinante, que j'en avais oublié ce mal intérieur qui me consume, comme j'en fait de même avec mes joints quotidiens.

Cela fait à peine quelques instants que j'ai vu cet homme qu'il veux déjà que je parte. Qu'est-ce qu'il lui arrive ? De toute façon, dans mon état, je ne risque pas d'aller très loin. En plus, la nuit commence à tomber, et je ne sais où aller dormir. Un carton ferai l'affaire.

Dès que je l'ai apperçu, j'ai remarqué une chose sur lui. Son regard. Si intense et ténèbreux à la fois. Je suis apté par celui-ci. L'envie de jouer la partition me dévorait, mais j'avais peut-être juste envie de lui montrer de quoi j'étais capable, pour capter son attention.

Et ce bel inconnu veux que je partes ?

<< Pourquoi partir déjà ? Je ne sais même pas ton prénom ?

Pars je te dis, tu ne peux pas rester avec moi >>

Je vois bien qu'il a quelque chose à me cacher. Pourquoi ce subit désir ?

<< Si tu insistes, je pars, mais après ce petit contre-temps, je ne peux pas me permettre de marcher. Je vais dormir là, même si je serai plus en sécurité avec toi. >>

Comment je peux donner confiance à des personnes que je ne connais même pas ? Est-ce l'envie d'être au près d'homme? Juste un peu de compagnie me ferai du bien.

<< Je reste içi, je dormirai dans un coin de la ruelle. Pars s'il ne faut pas que je reste avec toi. Ne t'inquiète pas pour moi. >>

Cette fille ne doit pas se douter une seule seconde du danger qu'elle encoure en restant avec moi. Si elle savait vraiment ce que je suis, elle serait parti en courant mais je n'irai pas non plus jusqu'à me jeter dans la gueule du loup. Au pire, elle payera pour son insolence...

-Très bien, reste.

Toujours aussi distant et froid je me retourne et fais mine de dormir. J'entends qu'elle en fait autant.
Les alentours sont d'ambiance morbide et très représentatifs du reste de la ville. Tout n'est que saleté, puanteur, béton et goudron. Absence totale de bonheur.

Le vent glacé souffle dans mon coup.

Il me fait frissonner. Une sensation d'excitation aiguë que peux de gens savent apprécier. Moi, je la puise dans le sang et la chair humaine. La douleur de le l'homme m'obsède et me passionne. Je la créer et la savoure tel un festin. L'adrénaline qu'elle me procure n'est pas un simple signe de plaisir, non. C'est la Vie qui s'introduit en moi. Cette même vie, que je vais prendre à cette femme qui dort à côté...
C'est avec le regard presque vide et les mains tremblantes que je sors discrètement un long couteaux à la lame brillante et tranchante à souhait. Je tourne la tête et admire un spectacle attendrissant.
La jeune fille dormait comme un ange. On sent qu'elle a une confiance totale en moi.
Qu'elle considère les souffrances que je vais lui infliger comme une leçon...

Je prends l'un de ses bras fins dans mes mains. Sa peau douce, d'une pureté divine me fait penser à de la soie. Une envie irrésistible d'y voir couler du sang me démange.
Je pointe le bout de ma lame sur sa peau et y fait perler une "goutte de vie".

Je regarde le visage de la fille.
Elle a les yeux ouverts et me regarde en souriant :

-Je ne suis pas inconsciente, juste intriguée, dit-elle en me faisant un clin d'œil.

Totalement désarmé de l'intérieur, j'en fit autant à l'extérieur en lâchant mon couteau et lui dit en un soupir :

-Je crois qu'une confession nocturne s'impose ?

Et je lui rendis son sourire.
___________

Je m’engageai donc prudemment dans les ruelles sombres et dangereuses qui menaient au repère des assassins. Quelques clochards cuvaient leur vin sur les trottoirs défoncés, recroquevillés sur le béton, leurs vêtements en loques.

Ils hurlaient des obscénités sur mon passage et je n’eu aucun mal à les ignorer, cependant mon poing se serra un peu plus sur mon arme, dissimulée dans une poche sur mon corset.

Je marchais le plus vite possible dans l’ombre, sans me faire remarquer, de peur que quelques cyborgs ou proxénètes que ce soit me reconnaissent.
Le ruelles sombres débouchèrent sur une rue plus large et éclairée par quelques lampadaires, je pris donc soin de dissimuler ma chevelure sous mon capuchon noir, seule preuve de mes origines aryennes et repris ma marche d’un pas posé.

Soudain il apparut appuyé contre un lampadaire, entièrement vêtu de noir. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine, j’apercevais à peine son visage mais j’étais persuadée que c’était lui. Je marchais à sa rencontre et arrivais devant lui. Je ne m’étais pas trompée, il me souriait comme dans chacun de mes songes.

Je me sentais bien avec lui, jusqu'à ce qu'il prenne en sa possession ce couteau. Mais dans quel but d'ailleurs, je ne sais pas trop. Je n'ai pas peur de lui, je veux juste savoir le pourquoi de son acte.

<< Oui, je crois qu'il va falloir mettre quelque chose au clair. >>

La goutte de sang coule toujours. Et c'est sous un fort allèchement de ma part, que je fis glisser mon doigt le long de mon bras, pour en goutter les délices de mon sang.
L'homme continue à sourire, limite d’un air malsain, mais aucun étonnement, comme si c'était normal.

<< Pourquoi es-tu restée éveiller? >>

<< Les personnes de cet ville ne me mettent pas en totale confiance, mais avec toi, je me sens bien. Je voulais juste voir ce que tu allais faire. Fuir ou autre... Il me semblait étrange que tu veuille que je parte. >>

L'homme détourne mon regard, comme un enfant qui vient de faire une bêtise.
La curiosité me dévore:

<< Mais pourquoi m'as-tu fais ça ? >>

<< Depuis mon enfance, j'ai certaines pulsions, assez bizarres je dois dire, mais je n'ai pas trop envie d'en parler.. >>

<< Je respecte, tout le monde cache quelque chose en soi... D'ailleurs, je dois partir, désolée. >>

Sans me retourner, je marche en direction d'autres ruelles, laissant ce beau violoniste au dépourvu.

Voyant la jeune femme partir, j’eu un pincement au cœur. Et si je ne la voyais plus jamais ? Je me mis à courir de toutes mes forces et l’attrapa par l’épaule puis la retourna afin de lui glisser quelques mots à l’oreille :

« Rendez-vous demain soir devant la fontaine, au parc. »

Elle me regarda, un peu confuse ; étonnée que je veuille la revoir et en même temps séduite par l’idée du lieu.
Elle hocha la tête en signe d’acquiescement puis se retourna pour reprendre sa route.
_____________

Sortir. Marcher. Ou plutôt, errer. Je ne savais plus faire que ça désormais. Errer, seule, au milieu de ces ruelles pourries que j'exècre mais qui indicieusement m'inspirent toujours. C'est un appel, l'appel de la rue, de la déchéance, la mort, la violence, le sang. Je ne vivais plus que pour ça désormais. Ainsi marché-je ce soir-là, seule, perdue dans l'une de mes absences qui viennent parfois, sans prévenir, envahir mon âme et l'envelopper de songes et de pensées que je ne parvenais jamais à attraper.
Attraper mes songes.
Les enfermer dans ma tête. Toujours ils fuient, aussi promptement qu'ils viennent.
Mes pensées me font momentanément oublier la triste solitude dans laquelle je me suis enfermée depuis que j'ai perdu de vue Guilhem, quand j'ai réussi à m'enfuir du laboratoire expérimental de ses parents, à 15 ans, avant de me faire attraper par... J'ai oublié son nom. J'oublie toujours les noms de ceux que j'ai tué.
Guilhem... Son nom résonne encore à mes oreilles. Le seul que j'ai jamais aimé, sans que lui-même ne le sache. Seule Aliénor a pu posséder son coeur. Je ne lui en ai jamais voulu. Elle est morte, il a disparu, et moi je suis quelque part entre les deux.
Je ne garde du laboratoire qu'une seule vraie séquelle, la grande cicatrice qui me parcourt de dos de haut en bas, cette grande trace blanche qui ne s'effacera jamais. Parfois, quand ma force me quitte, il me suffit de la toucher pour me souvenir "Rappelle-toi, me dit-elle, "rappelle-toi ta vengeance, rappelle-toi ton but"
Je cherche les souvenirs de Guilhem dans ma mémoire. Je ne sais pas s'il vit encore ici, à Unknown. Je ne peux pas le chercher; je ne veux pas qu'il sache ce que je suis devenue.
Pourtant, le miroir que je contemple me renvoit l'image d'une fille presque femme, blonde cendrée, au regard bleu métallique, fine et musclée avec toutefois quelques formes féminines que l'Autre n'a pas réussi à m'enlever, quelques formes sanglées dans un corset noir et rouge et un pantalon moulant noir dans lequel je cache un poignard.
Suis-je jolie? On me l'a déjà dit mais je ne sais pas. Dans le miroir, je ne vois pas la beauté, je ne vois que la tueuse.

Errer, ne plus penser, ne plus réfléchir. Et si je me tuais? Il me suffirait d'aller voir Night, il connait quelques petits trucs "planants". Quelques doses de trop et...
"Va au Club", me dit la voix dans ma tête, "Guilhem est mort, inutile d'espérer. Va..."

J'ai longtemps cru que nos vies étaient enfoncées si profondément dans les ténèbres qu'il serait impossible d'y changer quoi que ce soit avant longtemps.
Ce monde est sale, il fait peur. Plongé dans une nuit eternelle, il se pervertit de plus en plus, exploitant une cruauté sans limite.

Perdus, nous finissons toujours par nous résigner et nous dire qu'il n'y a plus aucun espoir, que si on ne peut rien changer, mieux vaut se plier aux règles et souffrir en silence.
J'ai longtemps cheminé dans cette voie, avant de me rendre compte que ce la ne pouvait plus durer, que le pouvoir de changer le futur de ce monde était entre les mains de chacun.

C'est en repensant à ce qui était arrivé à Léanor que cette illumination m'est apparue. Son souvenir me hantait tellement ... Mais j'avais peur. Très peur. Je suis longtemps resté comme ça, le cerveau paralysé par la peur à cause de la mort de mon aimée. Je ne voulais plus penser, plus ressentir ... Plus être.

Mais un jour, son doux visage est revenu à moi le temps d'un rêve ; elle disait : " Tu es déjà mort, Ian, décrépi par le chagrin et la solitude. Tu es presque plus mort que moi ... Mais maintenant tu dois vivre."

Ces simples paroles ont ouvert mon âme, peut-être parce qu'elles avaient été prononcées par elle, mais un autre monde était possible.

Pour changer le destin, pour sauver ce monde et l'empêcher de sombrer dans la déchéance et dans l'oubli, j'ai décidé de lutter contre le système et de fonder un clan anarchiste ..
J'ai commencé ma "petite entreprise" tout seul en procédant par attentats réguliers, peu organisés. Voyant que je n’arriverais jamais à rien seul, j’ai decidé qu’il me faudrait d’abord recruter, mais en restant très prudent dans mes choix. Ce projet demande beaucoup de rigueur et de stratègie.

Me voilà donc dans les sombres ruelles d’Unknown. J’ignore encore quel est mon but mais j’ai le sentiment qu’il va se passer quelque chose qui va changer le cours de ma vie ce soir.

Je jette un coup d’œil à ce qui serait susceptible de se passer au dessus de ma tête (un vieux reflexe). Il n’y même plus de ciel, il nous a quitté depuis longtemps, juste le néant, vide et froid.

Les nuits sont fraîches, à Unknown. On aurait presque pu croire que le soleil avait déserté lui aussi, répugné par ces terres arides qu'est devenu notre monde.
Comme si les habitants et lui étaient liés, une atmosphère sombre règne sur la ville d'Unknown. Aux races anciennes que différenciaient les humains par leurs couleurs ont succédé les androïdes, les cybercops. Leur rêve est devenu réalité, pire, il s'est transformé en cauchemar. S'entendent très mal hommes et robotique.
Je ne fais pas exception à la règle. Ces bouts de métal, ces êtres dépendants à l'électricité, batterie, ces êtres dénués de vie. Comment osent-ils marcher encore à nos côtés ? Ils vont contre tout principe, ne respirent pas, de boient pas, ils n'usent ni d'O2 ni d'H2O, ne recrachent pas de CO2, heureusement pour nous ; et se contentent uniquement de profiter du courant. Mieux : je ne comprends pas comment ils fonctionnent. Comment ils peuvent penser, éprouver.
Moi, Malva, tueuse à gage, comment puis-je espérer survivre à Unknown si je suis incapable de tuer la moitié de sa population ?
Ce monde me répugne, robots comme humains. Nous ne valons pas mieux, nous, pauvres égoïstes que nous sommes. Nous avançons guidés par ce que nous pouvons gagner : argent, nourriture, amour, bonheur. Ce ne sont que des illusions, des leurres. Nous courrons après des principes qui ne seront jamais concrétisés.
Mon rire se perd dans le froid. Je réalise alors que le son du violon qui guidait mes pensées s'est éteint. Evaporé dans la nuit. En regardant autour de moi, je m'aperçois que je ne suis plus seule. Malheureusement, aucun d'eux n'a l'air de rechercher d'assassin ce soir. Ils n'ont pas l'air effrayé, craintif, non... ils sont renfermés eux aussi, déçus par on ne sait quelle réalité encore, mais plus rien ne m'étonne. Ce soir, je voudrais innover. Il est bon pour une assassin de rester discrète et inconnue, mais si les personnes que je rencontre ignorent mon travail, ils ne pourront en aucun cas m'entraver. Ce soir, je voudrais faire une rencontre. Peu importe si je dois être la dernière fille que le malchanceux être que je rencontrerai aura eu l'occasion de voir. Je veux passer le temps. Le temps, ha, la seule chose que nous possédions vraiment, que nous pouvons dépenser car il nous en restera toujours, jusqu'à notre dernier souffle. Ou du moins, pour les andro, jusqu'à ce qu'ils doivent recharger. Hahahahaha.

Il y a deux humanoïdes face à moi. Une femme face à un pub et un homme. Aucun n'a l'air plus heureux que l'autre. Dans l'ombre, je me demande qui je vais aborder.
En les détaillant des yeux, je réalise avec effroi que la femme n'est autre qu'une membre du même métier que moi. Sa manière de se mouvoir ne trompe pas. D'ailleurs, elle semble changer de destination. Estimant préférable de ne pas me montrer à une concurrente, je passe mon chemin et me dirige alors vers l'homme, qui, semble-t-il, possède de bons réflèxes à regarder de temps en temps derrière lui, s'épargnant ainsi le privilège de mourir agressé de dos comme un bon nombre de mes victimes.

J'appuie fortement sur mon chapeau, histoire de bien recouvrir mon front, je boutonne mon manteau en marchant d'un pas vif. Plus je m'approche, et plus cet homme m'intrigue.